De passage en Slovénie début mars, nous avons contacté l’association SDPVN (Slovensko Društvo za Preučevanje in Varstvo Netopirjev : Société slovène pour l’étude et la protection des chauves-souris ) pour les rencontrer et participer à des comptages hivernaux avec eux. Si l’hiver était bien fini en France au même moment, la neige commençait seulement à fondre en Slovénie. Rappelons qu’une partie des Alpes orientales recouvrent la moitié Nord de ce pays.
La personne de l’association qui nous a répondu était ravie de notre proposition et nous avons été invités à les retrouver à la grotte naturelle de Planina (Planinska jama en Slovène) pour y faire une journée de comptage. Nous ne connaissions pas cette grotte et nous sommes très impressionnés à notre arrivée. Il s’agit en fait d’une des plus grandes grottes naturelles de Slovénie. Avec un ciel d’au moins quinze mètres de hauteur, elle s’étend sur plus de six kilomètres de long. Deux rivières se rejoignent souterrainement à l’intérieur, à environ 500 mètres de l’entrée, pour former la rivière Unica que l’on voit sortir de la grotte avec beaucoup de courant.
Grotte naturelle de Planina © Doremo - CC BY 3.0
C’est devant cette entrée majestueuse que nous faisons connaissance avec Dren, Samo et Maj. Casqués, en tenues de spéléologie, ce sont les trois naturalistes slovènes qui nous accueillent dans leur journée de comptage.
Planinska jama est connue pour sa riche biodiversité et elle est régulièrement suivie par les naturalistes. Pour le comptage de chiroptères, trois groupes de volontaires sont organisés pour faire au maximum le site divisé en trois zones. Un premier groupe, ouvert aux débutants et aux enfants, fait l’entrée et le début de la grotte. La berge y est aménagée et un minimum sécurisée jusqu’à un premier pont qui est fermé par une grille. Un deuxième groupe fait la zone allant de ce pont jusqu’à un second pont. De là, le troisième groupe, formé par les plus aguerris, fait tout ce qu’il peut jusqu’à la fin des endroits praticables.
À première vue, la recherche de chiroptères semble incongrue dans la première zone. La lumière du jour entre largement par la très grande ouverture. Le bruit du courant de l’Unica est assourdissant, il faut crier pour se parler. Les grottes sont nombreuses et populaires en Slovénie, il y a donc aussi des promeneurs parfois en famille qui font un tour le temps de notre prospection. Cependant, les chiroptères y sont bien présents, principalement des pipistrelles, des rhinolophes et des noctules. Les effectifs sont plus nombreux et les espèces plus diverses dans les deux zones suivantes.
Dans cette grotte, certaines parties dantesques ne sont accessibles que par des pirouettes dignes de sites d’escalades de montagne. C’est au moment de redescendre que l’on se rend compte que l’on risque des chutes de plus de 10 mètres et nous regrettons une bonne corde ou d’être un peu assuré. Il faut alors compter sur son sang froid et son esprit de conservation pour seule sécurité…
Nous notons que nos hôtes prenaient la température à l’extérieur, à l’entrée et dans la grotte, ils font cela à chaque prospection. Dren fait spécialement une thèse sur Planinska jama. Il y fait plusieurs comptages dans l’hiver pour voir comment les chiroptères bougent. Il y observe en effet des mouvements de grappes et d’individus. Il cherche aussi à savoir quand les chiroptères arrivent pour l’hibernation et quand elles partent pour savoir pourquoi et qu’est-ce qui influence ces mouvements.
Nous apprenons qu’ils font leurs comptages principalement dans les très nombreuses grottes naturelles du pays, les vieux châteaux et les églises. Nous abordons les nombreux sites propices du front picard et lorrain de 1914-1918, riches en abris souterrains, sapes et forts, car une partie du front italien de 1915-1918 traverse le pays. Ils ne semblent pas s’y intéresser mais ils nous ont sorti une base de données des cavités souterraines du pays assez édifiante. Les zones du front italien sont saturées de point de localisation de bunkers et d’abris divers. Le reste du pays est aussi parsemé de ce type d’ouvrages, ils témoignent du passage de la première guerre mondiale, de la seconde guerre mondiale et, plus récemment, de la guerre de Yougoslavie.
Nous remarquerons en effet dans les jours suivants que presque toutes les zones d’habitations disposent à proximité d’abris anti-aérien collectifs. Ils furent utilisés surtout lors des bombardements américains de la fin de la seconde guerre mondiale et encore lors de la guerre civile de 1991 à 2001. Ces abris doivent rappeler de mauvais souvenirs pas si vieux qui expliquent peut-être leur désintérêt pour les prospections. Et, surtout, il semble que les montagnes du pays offrent une multitude de sites naturels plus propices encore aux gîtes de chiroptères.
Sur la base de données slovène, nous remarquons qu’il y a justement des bunkers à quelques kilomètres de notre position et ils nous proposent de les faire par curiosité. Nous prenons les chemins de montagnes pour arriver dans une zone de front truffée de bunkers italiens dont les entrées et les postes de combats ont été sabotés. Nous en faisons un, très grand et sur plusieurs niveaux accessibles par des puits à échelons. Mais nous n’y trouvons que deux petits rhinolophes, pas de quoi relancer l’intérêt des Slovènes pour les ouvrages militaires malgré le bon moment passé dans cette escapade.
Nous prenons alors le temps de discuter pour partager nos expériences chiroptérologiques et découvrir comment se passent l’étude et la protection des chiroptères dans nos pays respectifs. Le nombre d’espèces de chiroptères présentes en Slovénie est passé il y a peu de 33 à 32. Elles y sont toutes protégées par la loi et sur la liste rouge des espèces menacées.
L’association SDPVN dont ils font partie compte environ 60 à 80 membres chaque année. Il n’y a aucun salarié, que des bénévoles. Ils sont entre 15 et 20 à être très actifs dans l’organisation des missions et sur le terrain. Il n’y a pas d’autres associations dans le pays à s’occuper des chiroptères mais il y a une institution, le CKFF (Center za Kartografijo Favne in Flore : Centre de cartographie de la faune et de la flore) où il y a des salariés qui s’occupent des chiroptères. Il existe d’autres organisations qui font parfois des petits projets voire des petits comptages chiroptérologiques mais c’est rare et toujours avec des bénévoles.
Au CKFF, il y a notamment Primož Presetnik que nos amis slovènes surnomment « Batguy ». C’est le seul professionnel qui ne fait que les chiroptères dans le pays et le seul salarié à faire du terrain. Il organise des camps l’été et il forme tout le monde en Slovénie.
Les universités organisent des camps l’été où il y a plusieurs activités que les étudiants peuvent choisir. Parmi les nombreuses activités, il y a les chiroptères avec « Batguy ». C’est dans ces camps que certaines personnes découvrent un intérêt ou une passion pour les chiroptères et viennent ensuite aider comme bénévoles sur les actions. Beaucoup de nouvelles données sont récoltées lors de ces camps.
L’association SDPVN a fait ses dernières années plusieurs projets dédiés à la sensibilisation et l’information sur les chiroptères auprès du public. Ils font des conférences, des expositions de photos et des activités de terrain pour le public comme la pose de gîtes, le nettoyage de guano dans des clochers ou des greniers. Ils organisent aussi la nuit des chiroptères fin août ou en septembre. En revanche, ils ne peuvent pas fermer de sites pour protéger les chauves-souris.
Le CKFF est chargé de la surveillance de populations chiroptères et particulièrement d’espèces ciblées sur demande du gouvernement qui ne demande qu’à cette institution. Dans cette surveillance que demande le gouvernement, le CKFF conseille sur la rénovation des abris et ils avertissent quand certains sont détruits ou endommagés. Ils collaborent aussi pour donner des conseils sur le tourisme dans les grottes à chiroptères pour fermer les grottes ou pour aménager des parcours pour les touristes afin d’éviter les zones où elles hibernent.
Le CKFF organise chaque hiver entre 10 et 15 comptages selon les subventions. La surveillance est faite à partir d’une liste de sites présélectionnés. Mais ils n’en font que quelques-uns de cette liste chaque année, faute d’effectifs et de moyens.
Pour la SDPVN, l’association organise rarement les missions de terrain l’hiver. Ces deux dernières années, elle a organisé que deux suivis de gîtes. Mais c’est sûrement à cause de la crise covid car elle organisait plusieurs comptages dans des grottes par le passé. Quoiqu’il arrive, la très grande majorité des comptages hivernaux ne sont pas organisés par l’association mais par les bénévoles. Les comptages hivernaux s’arrêtent mi-mars car les températures augmentent et certains chiroptères sont déjà actifs mais certains comptages ont lieu encore un peu au-delà et sont considérés comme des comptages de période de transition.
Samo nous explique qu’ils misent sur la quantité plutôt que la qualité des prospections hivernales. Ils préfèrent faire beaucoup de sites, mais sans les faire complètement et avec minutie, pour avoir une carte globale de la répartition des espèces dans le pays. Ils font ainsi car ils ne sont malheureusement pas assez nombreux pour couvrir tout le pays efficacement.
C’est à ce moment que nous lui faisons remarquer qu’ils sont pourtant plus minutieux que nous sur un point. Nous avons en effet vu un détail intrigant sur leur fiche de comptage hivernal remplie pendant la prospection. Il font la distinction entre les Myotis mystacinus, brandtii et alcathoe. Alors que nous, nous mettons ces trois taxons en un seul, murin à moustaches. Nous demandons donc leur secret pour être si précis dans ces identifications. Samo nous répond à moitié amusé et à moitié gêné par un laconique : « Balkan style ! » avant de nous expliquer leur technique.
S’ils observent, par exemple, deux ou trois groupes de murins à museaux sombres dans un même site et qui semblent différents. Ils en « sacrifient » alors un de chaque groupe en le prenant pour lui ouvrir la bouche et déterminer l’espèce en examinant la denture. Ainsi, ils notent le groupe entier dans l’espèce identifiée par le chiroptère qui a subi ce réveil forcé...
Nous abordons ensuite les activités estivales de l’association. Elle organise plusieurs sessions de terrain avec des détecteurs à ultrason et elle suit ou répertorie aussi des gites et des refuges de chiroptères. Plusieurs de ces sessions servent à former les membres de l’équipe ou sont ouvertes au public. Les membres de l’association participent aussi à tous les projets qui touchent aux chiroptères que peuvent faire occasionnellement d’autres associations naturalistes. Comme, par exemple, le BioBlitz Slovenija où plusieurs experts doivent compter le plus de taxons possible en 24 heures.
Enfin, nous demandons s’ils connaissent l’évolution des populations de chiroptères en Slovénie grâce à leurs différents travaux de terrain. Ils ne peuvent en fait que juger par rapport à leurs propres travaux car ce sont les seuls auxquels ils ont accès. Tous les résultats des comptages et des missions de terrain à travers le pays sont recueillis par le CKFF mais pas par les associations qui n’en ont pas connaissance. Pour la majorité des espèces, ils n’ont donc pas assez de données pour conclure mais ils savent que certaines espèces sont stables et que les populations des trois espèces de rhinolophes augmentent. Mais globalement, ils savent que les populations de chiroptères sont affectées par la destruction régulière par l’homme de leurs refuges, notamment dans les églises. Il semblerait que ce soit le plus gros problème dans les sites connus.
La journée de prospection et d’échanges avec nos amis slovènes touche à sa fin. Deux d’entre eux doivent encore faire des missions de terrain avant de rentrer chez eux, l’un sur les mollusques et l’autre sur les batraciens. Ils nous indiquent d’autres bunkers dans la montagne proche pour finir notre journée et nous les remercions vivement pour leur accueil tout en les invitant en France quand ils veulent ou peuvent pour participer avec plaisir à nos actions.
Au cours de cette rencontre avec des chiroptérologues étrangers, la communication a été grandement facilitée par les noms latins des chiroptères que nous connaissions tous. Sans cela, il aurait été difficile de se comprendre sur les espèces. Si nous avons quelques noms d’espèces qui ont gardé la forme latine ou un dérivé, de leur côté, ils ont surtout donné des noms liés aux caractéristiques physiques des espèces mais pas avec les mêmes critères que nous. Par exemple, les rhinolophes comme en anglais sont nommés « Fer à cheval » (fer à cheval petit, grand et du sud pour Euryale), le Murin de Natterer est nommé chiroptère à frange du fait de sa frange typique de poils sur l’uropatagium, le Murin à oreilles échancrées est le chiroptère des branches car il y chasserait beaucoup les insectes, le Daubenton est le chiroptère de l’eau, le grand murin est étonnement le chiroptère commun, le Bechstein est sans surprise le chiroptère à longues oreilles, le Myotis alcathoe est le chiroptère nymphe, la Barbastelle est le chiroptère à oreille large, le Plecotus macrobullaris est l’oreillard à barbe de cuir …
En Slovénie, ils utilisent le mot « netopir » pour nommer nos amies de la nuit. Ce mot ne veut rien dire d’autre que cela et n’a rien de ridicule. Contrairement au mot « chauves-souris » en français qui fait parfois pouffer de rire les gens à leur évocation et fait que nous ne sommes pas toujours pris au sérieux au premier contact. C’est d’ailleurs pour cela que nous préférons le terme de « chiroptère » qui est précis et efficace dans son étymologie. De plus, c’est un mot qui n’est pas plus long ou compliqué à prononcer.
Pour finir avec ce résumé succinct de notre périple slovène. Dans la semaine qui a suivi la rencontre avec les chiroptérologues locaux, nous avons prospecté encore plusieurs grottes naturelles, bunkers, maisons abandonnées et d’anciennes mines de charbon, de pyrite, … et nous avons transmis à l’association. Les bunkers, notamment les abris civils en ville, étaient finalement assez occupés par les chiroptères en règle générale mais sans aucune comparaison avec les grottes naturelles qui étaient exceptionnellement peuplées et tapissées de guano. Nous avons eu la joie d’observer trois chiroptères que nous n’avions pas encore croisés en hibernation en Picardie : le Myotis capaccinii, le Miniopterus Schreibersii et le Rhinolophus euryale.
Nous n’allons pas détailler les aventures vécues dans ces sites mais juste relever un détail. Les entrées des sites des grottes et des mines sont souvent bien indiquées par des panneaux touristiques et elles sont libres d’accès. Les panneaux en font largement la promotion car les explorations souterraines semblent populaires dans le pays. Mais ces panneaux alléchants oublient toujours d’avertir que ces sites sont très dangereux. Soit le risque d’effondrement est très fort du fait de l’instabilité naturelle ou des dynamitages de guerre. Soit c’est inondé et il est facilement possible de se coincer et de se noyer dans de l’eau ou de la boue. Soit, spécialement dans les grottes naturelles, il faut descendre ou monter à d’autres niveaux en escaladant à la main ou par des cordes fixées là depuis on ne sait quand et les chutes petites ou grandes nous vouent à finir bien souvent dans des crevasses ou des rapides souterrains … Bref, il semble que le danger ne soit pas un élément notable dans ces contrées, nous avions alors souvent en tête les mots de Samo : Balkan style !
Rédaction : Masaï Mejiaz
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